Mon écriture a trois petites têtes, la première prétend faire des histoires, le deuxième prend des images et les complète de mots, la troisième se juxtapose à des artistes. Les trois têtes n'ont pas de dents et portent un bonnet de laine en cette période.

vendredi 4 mai 2012

Texte pour Tony Mathieu


dit au micro le 5 mai 2012 au crématorium de Côte-Chaude, St Etienne

Des muses pour Tony mathieu

Un, deux… Un deux... trois quatre cinq… sept…

On ne construit pas une vie avec de la musique. Et, puisque mes yeux se fixent à cette pensée, on ne construit pas son corps avec de la musique. La musique, c’est une bâtisse translucide et qui ne protège pas de l’hiver, c’est une couverture qui laisse échapper les bruits, les sons et les silences. Il serait bien malhabile l’animal qui ne passerait pas à travers la musique. La musique est une nasse percée dans laquelle les appâts rigolent. On construirait un mur du son, un toit haut de gammes, des fondations liquides et cet abri ne demeure pas. La musique, ça ne tient pas. Les instruments, ça tient un peu, ça peut faire cabane, on peut faire une charpente avec des hautbois, des murs de pianos, des clôtures de harpes, des colonnes de tambours, un violon pour girouette. Un peu de vent, tout irait se faire voir ailleurs.

On ne construit pas sa vie avec des mots, c’est bien dommage aussi, les mots on en trouve partout, sans se baisser, on en trouve, au fond d’une gorge, il en est même en réserve dans des livres, des mots secs qui prennent leur volume quand on les prononce. Des mots plats, noirs, des signes qui prennent sens quand on les prononce. Des mots qui font textes pour des occasions, pour du neuf, des mots pour ici, qu’on prononce alors doucement, mais ça ne fait pas maison, ça ne fait pas cabane, ça ne protège pas de la pluie. Et par grand vent, ça se perd.

On ne construit pas sa vie avec le cinéma, on en garde la trace. Une lumière. Une danse saccadée sur un rideau blanc, ma gueule de trois mètres de large, et c’est déjà du passé, de la contemplation, ça n’est qu’un mur et ça s’éteint quand la lumière s’allume, va comprendre.

Avec le théâtre, on ne construit pas sa vie. On fabrique des vies de papier qui s’agitent et qu’on rangera quand le nez rouge aura été dépossédé. Le théâtre aussi, ça s’envole avec le vent, avec la tempête.

La danse, parlons-en, rien qui tienne debout, on risque sa vie dans la danse. Un entrechat file, on tombe. Non, la danse est aussi une plume au vent.

La peinture est à côté de la vie, on ne construit pas sa vie avec, on y cherche des animaux, des perspectives, des nus, des bagarres anciennes, des dieux qui meurent. Et jamais un banc pour s’asseoir.

On ne bâtit pas sa vie avec la sculpture, au plus on tente de l’y arrimer, on trouve un terrain plat et on dit qu’ici on restera. Et le vent défait les nœuds.

L’architecture ? On ne construit pas sa vie avec, on l’enveloppe, au mieux, comme un manteau le ferait. Et la doublure est un décor soulevé par le vent.

C’est donc en vain que nous sommes usagés de ces pratiques qui auront eu le loisir de nous réunir. Et ces muses païennes auront construit de nous cette ronde autour d’un des nôtres, praticien perdu désormais ; c‘est donc en dehors de toute vie bâtie que nous sommes réunis. Nous voici avec nos têtes de Toto, avatars de nous-mêmes, collectivement fous, riants de confusions et retenant notre souffle afin qu’ensemble nous ayons le même air, un air bête, un air offert aux vieilles trompettes, un air qui emporte les musiques, les chants, les murs et les peintures, un air qui nous entraine. Un air de rien.

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