Texte n°2 pour la revue Brasiko Folio - mai 2015
La chèvre et le loup, un ailleurs entrepris
Lui
aurait-on fait croire qu'ailleurs l'herbe est un peu plus verte ? Et plus
tendre l'air. La chèvre du sieur Seguin aspire à l'évasion. Le ventre seul
n'est pas en cause. Cette chèvre, et toutes les chèvres, sait qu’il se passe
ailleurs autre chose, hors de sa vue un autre espace est possible ; et demande
cet amour de petite chèvre ? La fin nous la connaissons, c'est le début de
l'histoire qu'il faut relire. Pourquoi le sieur Seguin attache-t-il la chèvre ?
A cause d'autres qui furent de la même aventure et qu'il a perdues, pourtant
les caressant, pourtant les nourrissant. Est-ce suffisant ? Seguin est sans le
savoir le gardien de la prison, si dorée soit-elle. Piètre gardien qui laisse
une baie ouverte. Acte manqué ? De la chèvre, Seguin veut le lait et plus si
affinité. Et ce bon Seguin ne connaît que sa prison. On sait la fin de
l'histoire mais il est bon de la rappeler à notre mémoire vive. Le loup gobe la
chèvre, délaissant les sabots et les cornes, j'avais jadis dessiné ceci en
illustration de l'histoire. J'avais dessiné les armes de la fameuse Blanquette,
courageuse et vaincue, je n'avais pas dessiné le loup, j'avais dessiné la
suite, j'avais tracé les deux cornes et les quatres sabots noirs au milieu de
quelque végétation, armes déposées. Quatres, je n'avais pas encore tout appris
dans l'école, ni les règles ni la volonté de leur appartenir.
L'idée
d'immobilité fait face à la mort. L'idée de survie est à écarter, on sait que
d'autres chèvres, avant la Blanquette, ont connu le loup. L'idée de liberté
grande est-elle à surveiller ? L'idée d'aller plus loin est à prendre, nécessaire.
Est à prendre en compte. L'instinct de Blanquette est une intelligence.
"Blanquette, tu veux
me quitter !"
On pense que Seguin est
gentil, avec ses chèvres pourtant injustes et malicieuses, on pense qu'il veut être
gentil avec nous aussi. La morale de la fable, comme à la fin du Magicien d'Oz
: " There's no place like home* ", "Rien ne vaut son
chez-soi", en sa prison on ne risque rien. Oups, en sa maison on ne risque
rien.
* peut aussi se traduire ainsi : voilà
s non local apprécier aucun pareil kiffer bercail. Méfions-nous de ce que j'écris.
Mais un proverbe dit aussi qu'il
y a péril en la demeure, tiens, tiens (demeurer = rester). S'habituer à sa
prison et la chanter comme espace de liberté, voici l'aliénation. Il faut en
partir, sans cesse s'échapper et ce sont six chèvres puis sept, la Blanquette.
Et ce n'est pas assez, il ne suffit pas de s'évader, il faut aussi vaincre le
loup, aller au devant de l'ennemi et le vaincre, au moins faire en sorte de ne
pas être mangé et, s'il le faut, lui casser les dents ou l'inviter à changer
son régime.
"Et bien non... Je te sauverai malgré toi, coquine !"
Petit épisode faussement
pudique avec un jeune chamois, les sources sont donc bavardes. Et l'écrivain
bien coquin. "Hou! Hou ! "Le loup ne connaît pas le nom, Blanquette,
mais il sait que c'est Seguin qui l'envoie. Qui l'envoie ? Doutons, douter est
devenu un luxe. Disons soudain que Seguin l'envoie, oui. Il donne de la trompe,
la rappelle-t-il ? Et la trompe est peu courageuse et peu entendue et Seguin
aurait pu franchir son enclos et monter au loup. Quelle est la corde, quel est
le pieu de Seguin qu'il ne puisse pas monter à Blanquette, monter au loup,
monter au combat qu'il aura délégué. Et la trompe se tait bien vite. Au-delà de
la morale facile de la chèvre de Monsieur Seguin, il y a un temps à gagner, une
nouvelle heure, ici, l'aube. Et Blanquette usée abandonne quand elle sait
qu'elle est allée plus loin dans le combat que la précédente, elle se donne au
loup mais elle aura fait avancer cette liberté comme ce combat ; elle ne
renonce pas, elle a fait sa part de boulot.
"Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le
soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à
vous tous..." Michel Manouchian
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