Mon écriture a trois petites têtes, la première prétend faire des histoires, le deuxième prend des images et les complète de mots, la troisième se juxtapose à des artistes. Les trois têtes n'ont pas de dents et portent un bonnet de laine en cette période.

mardi 9 juin 2015

Brasiko Folio n°2 - La chèvre et le loup




Texte n°2 pour la revue Brasiko Folio - mai 2015

La chèvre et le loup, un ailleurs entrepris

Lui aurait-on fait croire qu'ailleurs l'herbe est un peu plus verte ? Et plus tendre l'air. La chèvre du sieur Seguin aspire à l'évasion. Le ventre seul n'est pas en cause. Cette chèvre, et toutes les chèvres, sait qu’il se passe ailleurs autre chose, hors de sa vue un autre espace est possible ; et demande cet amour de petite chèvre ? La fin nous la connaissons, c'est le début de l'histoire qu'il faut relire. Pourquoi le sieur Seguin attache-t-il la chèvre ? A cause d'autres qui furent de la même aventure et qu'il a perdues, pourtant les caressant, pourtant les nourrissant. Est-ce suffisant ? Seguin est sans le savoir le gardien de la prison, si dorée soit-elle. Piètre gardien qui laisse une baie ouverte. Acte manqué ? De la chèvre, Seguin veut le lait et plus si affinité. Et ce bon Seguin ne connaît que sa prison. On sait la fin de l'histoire mais il est bon de la rappeler à notre mémoire vive. Le loup gobe la chèvre, délaissant les sabots et les cornes, j'avais jadis dessiné ceci en illustration de l'histoire. J'avais dessiné les armes de la fameuse Blanquette, courageuse et vaincue, je n'avais pas dessiné le loup, j'avais dessiné la suite, j'avais tracé les deux cornes et les quatres sabots noirs au milieu de quelque végétation, armes déposées. Quatres, je n'avais pas encore tout appris dans l'école, ni les règles ni la volonté de leur appartenir.

L'idée d'immobilité fait face à la mort. L'idée de survie est à écarter, on sait que d'autres chèvres, avant la Blanquette, ont connu le loup. L'idée de liberté grande est-elle à surveiller ? L'idée d'aller plus loin est à prendre, nécessaire. Est à prendre en compte. L'instinct de Blanquette est une intelligence.

"Blanquette, tu veux me quitter !"

On pense que Seguin est gentil, avec ses chèvres pourtant injustes et malicieuses, on pense qu'il veut être gentil avec nous aussi. La morale de la fable, comme à la fin du Magicien d'Oz : " There's no place like home* ", "Rien ne vaut son chez-soi", en sa prison on ne risque rien. Oups, en sa maison on ne risque rien.

* peut aussi se traduire ainsi : voilà s non local apprécier aucun pareil kiffer bercail. Méfions-nous de ce que j'écris.

Mais un proverbe dit aussi qu'il y a péril en la demeure, tiens, tiens (demeurer = rester). S'habituer à sa prison et la chanter comme espace de liberté, voici l'aliénation. Il faut en partir, sans cesse s'échapper et ce sont six chèvres puis sept, la Blanquette. Et ce n'est pas assez, il ne suffit pas de s'évader, il faut aussi vaincre le loup, aller au devant de l'ennemi et le vaincre, au moins faire en sorte de ne pas être mangé et, s'il le faut, lui casser les dents ou l'inviter à changer son régime.

"Et bien non... Je te sauverai malgré toi, coquine !"

Petit épisode faussement pudique avec un jeune chamois, les sources sont donc bavardes. Et l'écrivain bien coquin. "Hou! Hou ! "Le loup ne connaît pas le nom, Blanquette, mais il sait que c'est Seguin qui l'envoie. Qui l'envoie ? Doutons, douter est devenu un luxe. Disons soudain que Seguin l'envoie, oui. Il donne de la trompe, la rappelle-t-il ? Et la trompe est peu courageuse et peu entendue et Seguin aurait pu franchir son enclos et monter au loup. Quelle est la corde, quel est le pieu de Seguin qu'il ne puisse pas monter à Blanquette, monter au loup, monter au combat qu'il aura délégué. Et la trompe se tait bien vite. Au-delà de la morale facile de la chèvre de Monsieur Seguin, il y a un temps à gagner, une nouvelle heure, ici, l'aube. Et Blanquette usée abandonne quand elle sait qu'elle est allée plus loin dans le combat que la précédente, elle se donne au loup mais elle aura fait avancer cette liberté comme ce combat ; elle ne renonce pas, elle a fait sa part de boulot.

"Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous..." Michel Manouchian


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