Mars
2014
De la ruine à
la mue
Le
château de la belle au bois dormant n’est pas une ruine, le corps de la Belle
devant être soigneusement préservé, sanctuarisé. Belle doit rester belle, entretenue
(par qui ?) dans cet artifice. Comment le Prince alors entre-t-il dans le
château ? Comme il entre dans la Belle. Par effraction. Méfions-nous de
notre imagination, méfions-nous des histoires racontées.
Je
viens pour ces objets, mon réflexe va au mot ruine. Au mot temple. Templum,
lieu inauguré par les augures, un espace puis un bâtiment, lieu des rencontres.
Les doigts chauffés de café, mon lyrisme veut s'étendre. Nous sommes situés
après l’âge des temples et sont proposées leurs traces et ce qui peut rester
des rencontres. Sont évoqués l'architecture (architecture : création de
belles ruines), le sucre et les attentats du 7 janvier.
Bâtir
une ruine, monter une ruine, établir une ruine et la faire tenir dans son
équilibre entre mémoire et oubli, acte de sculpture et ses contingences, le
matériau, l'outil, l'histoire non dite.
"La
série que je fais est à la mesure de l'atelier. Il faut déplacer, transporter
et le format entre en compte."
Quand
Piranèse dessine une ruine, la représentation de l’homme s’y oublie, le
spectateur se trouve et se perd dans le dessin. Les romantiques posaient
l’image de l’homme dans un coin de leur ruine et nous n’y allions pas, de peur
de déranger, nous observions, étrangers. Nous observions cette ruine de paysage
d'un tableau de G.D. Friedrich, cherchions le petit bonhomme qui nous tourne le
dos puis le trouvions, immense et gênant. David Robert y met tant de sable et
d'exotisme que ce n'est plus lisible, la ruine est au touriste. Hubert Robert
superpose le quotidien à la ruine, ça a été, vivons encore.
Que
me disent celles-ci ? Aux socles comme de profondes fondations manquant de
terre. Encore à peine liquides. Finie puisque l'une suit l'autre. Maquettes. La
terre, le bois, presque la statue. Maladresses et minutie, ce qui tient, ceci.
Mais
je pouvais mal regarder, c'est un drapé, c'est une peau qui se fond sur une
structure, c'est le squelette habillé. Pas une ruine mais c'est une
construction. Oublions ce qui vient d'être lu. Ce n'est pas une ruine ; d'une
ruine disparaissent aussitôt le drapé et l'ornement, par les vents, par les
voleurs et par la récupération, ce qui est fragile ou précieux n'y demeure pas.
Et c'est peut-être Ophélie sortie des eaux, ceci. Et c'est peut-être la mue d'un ange, une série de mues,
ceci. Et c'est la multitude de décors dans lesquels se jouent les drames et les
idées, les hésitations d'aujourd'hui quand le doute lui-même est mis en cause,
ceci. Au premier regard de myope, je fus tenté par le romantisme et ses
lointains aboiements et ses petits personnages griffés qui sont les ancêtres
que je cherche parfois, je proposais donc la ruine comme mot et la discussion
partit de là, nous regardions déjà ailleurs, vers des taureaux androcéphales
ailés attaqués par la barbichette, nous aurions pu parler de Peau d'âne et du
temps qu'il fait, ce temps incertain dans lequel nous commençons à avoir peur.
Heureusement, les mains pensent pour nous et façonnent. Une série de mues
d'anges dans le vestiaire sacré, ceci me plaît.
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