Mon écriture a trois petites têtes, la première prétend faire des histoires, le deuxième prend des images et les complète de mots, la troisième se juxtapose à des artistes. Les trois têtes n'ont pas de dents et portent un bonnet de laine en cette période.

mardi 2 juin 2015

Texte pour Jérôme Dussuchalle n°3

 


Mars 2014

De la ruine à la mue

Le château de la belle au bois dormant n’est pas une ruine, le corps de la Belle devant être soigneusement préservé, sanctuarisé. Belle doit rester belle, entretenue (par qui ?) dans cet artifice. Comment le Prince alors entre-t-il dans le château ? Comme il entre dans la Belle. Par effraction. Méfions-nous de notre imagination, méfions-nous des histoires racontées.

Je viens pour ces objets, mon réflexe va au mot ruine. Au mot temple. Templum, lieu inauguré par les augures, un espace puis un bâtiment, lieu des rencontres. Les doigts chauffés de café, mon lyrisme veut s'étendre. Nous sommes situés après l’âge des temples et sont proposées leurs traces et ce qui peut rester des rencontres. Sont évoqués l'architecture (architecture : création de belles ruines), le sucre et les attentats du 7 janvier.

Bâtir une ruine, monter une ruine, établir une ruine et la faire tenir dans son équilibre entre mémoire et oubli, acte de sculpture et ses contingences, le matériau, l'outil, l'histoire non dite.

"La série que je fais est à la mesure de l'atelier. Il faut déplacer, transporter et le format entre en compte."

Quand Piranèse dessine une ruine, la représentation de l’homme s’y oublie, le spectateur se trouve et se perd dans le dessin. Les romantiques posaient l’image de l’homme dans un coin de leur ruine et nous n’y allions pas, de peur de déranger, nous observions, étrangers. Nous observions cette ruine de paysage d'un tableau de G.D. Friedrich, cherchions le petit bonhomme qui nous tourne le dos puis le trouvions, immense et gênant. David Robert y met tant de sable et d'exotisme que ce n'est plus lisible, la ruine est au touriste. Hubert Robert superpose le quotidien à la ruine, ça a été, vivons encore.

Que me disent celles-ci ? Aux socles comme de profondes fondations manquant de terre. Encore à peine liquides. Finie puisque l'une suit l'autre. Maquettes. La terre, le bois, presque la statue. Maladresses et minutie, ce qui tient, ceci.

Mais je pouvais mal regarder, c'est un drapé, c'est une peau qui se fond sur une structure, c'est le squelette habillé. Pas une ruine mais c'est une construction. Oublions ce qui vient d'être lu. Ce n'est pas une ruine ; d'une ruine disparaissent aussitôt le drapé et l'ornement, par les vents, par les voleurs et par la récupération, ce qui est fragile ou précieux n'y demeure pas. Et c'est peut-être Ophélie sortie des eaux, ceci.  Et c'est peut-être la mue d'un ange, une série de mues, ceci. Et c'est la multitude de décors dans lesquels se jouent les drames et les idées, les hésitations d'aujourd'hui quand le doute lui-même est mis en cause, ceci. Au premier regard de myope, je fus tenté par le romantisme et ses lointains aboiements et ses petits personnages griffés qui sont les ancêtres que je cherche parfois, je proposais donc la ruine comme mot et la discussion partit de là, nous regardions déjà ailleurs, vers des taureaux androcéphales ailés attaqués par la barbichette, nous aurions pu parler de Peau d'âne et du temps qu'il fait, ce temps incertain dans lequel nous commençons à avoir peur. Heureusement, les mains pensent pour nous et façonnent. Une série de mues d'anges dans le vestiaire sacré, ceci me plaît.

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