Mon écriture a trois petites têtes, la première prétend faire des histoires, le deuxième prend des images et les complète de mots, la troisième se juxtapose à des artistes. Les trois têtes n'ont pas de dents et portent un bonnet de laine en cette période.

mercredi 20 mai 2015

Texte pour Helenie Katzaru



Un texte pour un mémoire - Juin 2009

L'œil de verre d'Helenie

Je fus sous le charme enveloppée et l’ombre me suffisait. Assise je me laissais me souvenir. Ce que je suis. Ce que vous fûtes. Ce que nous aurions été. Ce qu’il en reste. Quelle madeleine ! Il est question d’un vague quotidien et de ma place à côté, juste à côté. Je fus en quelques brassées de vent envahie par mes souvenirs et par vos images, je vous aurais dont tant volé ; vous m’auriez dont tant appartenue. Non non, le contraire. La vague remontait et me portait, les fantômes suivraient, déjà me regardaient d’un curieux œil.

J’avais tout noté, je le croyais, mes habitudes de vous croiser, ma main sur le lit qui n’en demandait pas tant, votre filet de mots par ce chant distribués, vous vous étiez penchée puis vous vous étiez relevée, je garde ceci qui vous résume.

J’ai tout revisité, de ma cave à mon grenier dans un état des choses méthodiquement découpé, nous en parlions innocemment, ainsi travaillez-vous. Il apparut que c’était chez moi, donc autour de moi, à la limite de ma peau et à la surface de mon linge, chez moi comme en moi, que nous nous étions reconnues, moi éternellement modifiée de parures et de baumes, vous en fraîcheur provocante si vous n’aviez été aussi pudique et si sage et attentionnée, me laissant l’idée que je vous examinais quand c’est bien vous qui vous efforciez de me détailler, j’osais à peine vous regarder, je n’osais pas moins regarder à coté de vous qui étiez si présente quand je m’entretenais à m’absenter, vous m’enveloppiez à l’égal de la frondaison de ce charme. Votre lumière décidée sur mon ombre inscrite. Mais il n’était pas temps de mentir, mes ornements étaient une simple pacotille, mes cloisons et sols de bien désuets tableaux et comme je vous enviais, moi à ma place mesurée, vous dans le vagabondage et dans les aventures. J’étais fixée, vous virevoltiez.

Pourtant je fus petite, je veux dire je fus gosse et parfois je changeais d’âge, je suis cet autrefois que vous avez restitué, je suis ces silences que vous avez fait sortir de votre regard, je suis ces objets distribués d’une maniaque intention, je suis mon décor que vous perceviez alors que je suis irrémédiablement aveugle, mes yeux dans la tête retournés. Il y avait cette urgence, il y avait déposée sur la table cette demande, les papiers alors se superposant dans votre délicatesse : ces morceaux que je fus, ces rectangles de ma vie, ce découpage de mes faux mouvements ; ce que j’ai pu m’écarter pour ne pas aller loin !

Ce fut aujourd’hui puisque ma mémoire ne va plus au-delà, ce fut il y a longtemps puisque je fais l’effort de vous écrire, j’aurais dansé et chanté pour me montrer vivante davantage et je me suis assise comme ici sous le charme enivrée des senteurs d’été, mes mains ont leurs rides et mes jambes leur poids. Pourtant je ne tentai pas de vous faire rire et pas encore de vous émouvoir, ni demain, j’avais inscrit ma gravité à votre endroit quand vous vous étiez dénudée et vous montrant ainsi, posant votre œil de verre à ma portée si je tendais un bras, ce qu’il faut prendre, ce qu’il faut laisser, quelque intimité soulevée comme au théâtre quelque rideau caressé pour ne pas être tenté par l’envers du miroir, juste assez caressé pour que remonte ce sortilège des puissants secrets : un passé. Vous aviez donc mon passé qu’aujourd’hui vous gardez et je fus jalouse, de cette arrière-cour rien n’avait subsisté en moi, par vous je fus ressuscitée, je fus révélée, là je contemplais, médusée puisque immobile, la meilleure des choses, ma vie dans l’enclos, ma sereine turbulence, mon principe d’intérieur, ce qui m’appartenait d’évidence et que je négligeais à force de quotidien et d’habitudes. Et cette joie inscrite, cette magnifique monstration de mes infimes prouesses dans ma vie minuscule. Ainsi je suis, j’aurais pu vous le crier, « Ainsi je suis ».

Je vous dois cette part de moi, je vous dois ma vie sauve et je n’emporterai rien, je sais désormais que ceci a vécu et qu’il sera ailleurs restitué, que mon manque d’importance est un ultime cadeau, je n’avais rien d’autre à vous offrir sinon une pâte de fruits résolument sèche ou la trace d’un cadre sur le mur qui n’attend pas un autre cadre, même si le clou espère, vous pourrez penser que je gémis, j’en fais une discrète coquetterie.

Je dus sortir, vous fûtes partie. Quand je ne serai pas revenue, vous voici portant ma vie.


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