Mon écriture a trois petites têtes, la première prétend faire des histoires, le deuxième prend des images et les complète de mots, la troisième se juxtapose à des artistes. Les trois têtes n'ont pas de dents et portent un bonnet de laine en cette période.

dimanche 26 mars 2017

Représentations clouées vives

...pour une exposition de collectionneurs de stéphanois...
Mars 2017 



Un goût ? Oui, ça a un goût. Il peut se trouver des mots pour le décrire mais j’en possède peu de cet ordre. Le plus simple est de vous approcher et de vous rendre compte par votre corps tout entier de la qualité de ce goût. Allez plus loin. Oui, suivez-moi. Ceci ? Vous sentez mal. Non, ne touchez pas. Il ne faut pas toucher. Quand ce n’est pas écrit, il ne faut quand même pas toucher. Vous avez les mains froides. Vous cherchez ? Vous cherchez quelque chose ? Quelqu’un ? Je vous guide. Non, je suis gentil, je ne suis pas une farce. Un paysage, c’est un faux espace. Voyez, on ne peut pas le pénétrer.

Un portrait, c’est aussi un mensonge, on n’y entre pas, on ne l’embrasse pas. Reculez, vous êtes toujours trop près et trop loin. Personne ne vous a appris. C’est comme un passage à niveau à l’ancienne. Il faut attendre, oui, attendre que le train passe. Vous regardez les barrières mais l’important, c’est le train qui passe. D’ailleurs, quand il passe, il coupe votre regard et les barrières vous sont cachées. Ensuite tout se relève mais le train qui a disparu est nécessaire à cette mécanique, nécessaire à cette observation. Un train peut cacher.

Les mouvements, les couleurs, la vitesse et votre vigilance. Aujourd’hui, on dirait : votre sécurité, puisqu’on nous fait craindre tout ce qui peut venir troubler le regard. Vous êtes d’un esprit contemplatif, vous aurez d’autant plus de mal avec cette sécurité qui va vous lier à l’immobilité, au silence et à l’obscurité. Mais je m’éloigne de nous et d’ici. Ce qu’ici était avant ? Je l’ai su. Avant, justement. Ma mémoire, vous savez, elle s’est un peu fait bousculer, alors j’accumule des preuves pour en faire des souvenirs. Mais je me fourvoie, les souvenirs ne sont pas la mémoire. Comme la vue n’est pas l’observation. Et je me suis entouré de tout ceci, voyez, je me suis entouré de façons de voir, je me suis entouré de la mémoire des autres pour vainement rattraper la mienne.

Oui, ceci, vous pouvez toucher, oui. C’est froid, oui, c’est lisse, donc ce n’est pas vivant. Je blague, c’est que vos doigts demeurent froids. La circulation sanguine, c’est ma préoccupation, je me fais vieux. Le cœur. Regardez mes mains, elles craquellent. Ceci ? Je l’ai échangé il y a dix-mille ans. Cette trace de main contre une caverne qui ne m’appartenait pas, bonne affaire. Vous cherchez des sentiments ; ici, c’est au kilo. Vous aimez les arbres ? Il faudrait.

Reprenez un sucre, ça refroidit. Une petite goutte, ensuite ? Vous m’avez déjà rencontré mais votre mémoire aussi fait des sauts. Déplaçons-nous. Votre main se réchauffera. Je m’écarte, sinon vous ne voyez que moi. D’Arlequin on ne doit voir que le manteau, du Pierrot on voit les points noirs sur fond blanc. Ou blancs sur fond blanc, avec un peu d’ombre, un peu d’éclairage.

Tout est à moi. Mais ça ne vaut que par votre présence. Vous voyez encore ? Je suis bavard. Je pourrais tout vous raconter sur le moindre grain qui se tient ici. Et sur ceux qui se sont échappés par des portes ouvertes ou des poches larges. On dit la couleur pour dire toutes les couleurs. Et les formes pour dire la forme prise par ces formes. On parle trop. Oui, moi aussi. Je suis le guide. J’ai connu un guide muet, à Marcilhac-sur-Célé. Non, pas Massiac, bordel. Il doit être mort aujourd’hui. Muet, ça ne veut pas dire qu’on ne dit rien, vous savez. Moi, je suis bavard et je ne dis finalement pas grand-chose.

Vous faites une visite. Une promenade, c’est différent. Surveillez votre tension, vous verrez. Au-dessus ? Des gens habitent, au-dessus. Mais dessous, il n’y a rien, je n’y suis pas allé. Des choses, on parle aussi d’objets. D’images...

Comme on prend une bête au lasso, il faut ramener vers soi en faisant en sorte que la bête veuille s’éloigner, sinon, c’est la bagarre. Oui, le choc. Toute bête ne s’apprivoise pas. Je ne fais pas ça pour l'argent. Non, non. Merci. Oui, plus longtemps, vaine gloire. Merci encore.
 

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