...pour une exposition de
collectionneurs de stéphanois...
Mars 2017
Un goût ? Oui, ça a un goût. Il peut se
trouver des mots pour le décrire mais j’en possède peu de cet ordre. Le plus
simple est de vous approcher et de vous rendre compte par votre corps tout
entier de la qualité de ce goût. Allez plus loin. Oui, suivez-moi. Ceci ?
Vous sentez mal. Non, ne touchez pas. Il ne faut pas toucher. Quand ce n’est
pas écrit, il ne faut quand même pas toucher. Vous avez les mains froides. Vous
cherchez ? Vous cherchez quelque chose ? Quelqu’un ? Je vous
guide. Non, je suis gentil, je ne suis pas une farce. Un paysage, c’est un faux
espace. Voyez, on ne peut pas le pénétrer.
Un portrait, c’est aussi un mensonge, on n’y entre
pas, on ne l’embrasse pas. Reculez, vous êtes toujours trop près et trop loin.
Personne ne vous a appris. C’est comme un passage à niveau à l’ancienne. Il
faut attendre, oui, attendre que le train passe. Vous regardez les barrières
mais l’important, c’est le train qui passe. D’ailleurs, quand il passe, il
coupe votre regard et les barrières vous sont cachées. Ensuite tout se relève
mais le train qui a disparu est nécessaire à cette mécanique, nécessaire à
cette observation. Un train peut cacher.
Les mouvements, les couleurs, la vitesse et
votre vigilance. Aujourd’hui, on dirait : votre sécurité, puisqu’on nous fait
craindre tout ce qui peut venir troubler le regard. Vous êtes d’un esprit
contemplatif, vous aurez d’autant plus de mal avec cette sécurité qui va vous
lier à l’immobilité, au silence et à l’obscurité. Mais je m’éloigne de nous et
d’ici. Ce qu’ici était avant ? Je l’ai su. Avant, justement. Ma mémoire,
vous savez, elle s’est un peu fait bousculer, alors j’accumule des preuves pour
en faire des souvenirs. Mais je me fourvoie, les souvenirs ne sont pas la
mémoire. Comme la vue n’est pas l’observation. Et je me suis entouré de tout
ceci, voyez, je me suis entouré de façons de voir, je me suis entouré de la
mémoire des autres pour vainement rattraper la mienne.
Oui, ceci, vous pouvez toucher, oui. C’est
froid, oui, c’est lisse, donc ce n’est pas vivant. Je blague, c’est que vos
doigts demeurent froids. La circulation sanguine, c’est ma préoccupation, je me
fais vieux. Le cœur. Regardez mes mains, elles craquellent. Ceci ? Je l’ai
échangé il y a dix-mille ans. Cette trace de main contre une caverne qui ne
m’appartenait pas, bonne affaire. Vous cherchez des sentiments ; ici,
c’est au kilo. Vous aimez les arbres ? Il faudrait.
Reprenez un sucre, ça refroidit. Une petite
goutte, ensuite ? Vous m’avez déjà rencontré mais votre mémoire aussi fait
des sauts. Déplaçons-nous. Votre main se réchauffera. Je m’écarte, sinon vous
ne voyez que moi. D’Arlequin on ne doit voir que le manteau, du Pierrot on voit
les points noirs sur fond blanc. Ou blancs sur fond blanc, avec un peu d’ombre,
un peu d’éclairage.
Tout est à moi. Mais ça ne vaut que par votre
présence. Vous voyez encore ? Je suis bavard. Je pourrais tout vous
raconter sur le moindre grain qui se tient ici. Et sur ceux qui se sont
échappés par des portes ouvertes ou des poches larges. On dit la couleur pour
dire toutes les couleurs. Et les formes pour dire la forme prise par ces
formes. On parle trop. Oui, moi aussi. Je suis le guide. J’ai connu un guide
muet, à Marcilhac-sur-Célé. Non, pas Massiac, bordel. Il doit être mort
aujourd’hui. Muet, ça ne veut pas dire qu’on ne dit rien, vous savez. Moi, je
suis bavard et je ne dis finalement pas grand-chose.
Vous faites une visite. Une promenade, c’est
différent. Surveillez votre tension, vous verrez. Au-dessus ? Des gens
habitent, au-dessus. Mais dessous, il n’y a rien, je n’y suis pas allé. Des choses,
on parle aussi d’objets. D’images...
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